vendredi 25 avril 2008

Les discours politiques de T. Sankara

L’art de gérer les « passions collectives »
La rupture de la novlangue africaine


Suite à la lecture hasardeuse de l’article de Mikaël Faujour intitulé " La langue dévastée des grands médias " et la commémoration du 20ème anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara, le choix de mon corpus se dirigea vers les discours politiques de cet emblématique président burkinabé.

Les discours médiatiques autours de cet homme étant inexistants pour plusieurs raisons (archives locales introuvables, informations non relayées par la presse étrangère, un fonctionnement du " marché officiel " de la parole politique...) , je me suis tourné vers ses discours politiques. La novlangue, l’hexagonal, la langue de bois ou plus maladroitement (sur le plan lexicale) appelée le politiquement correct; est pendant cette période utilisé allègrement par les chefs d’Etat africains. Après l’indépendance des pays de l’Afrique de l’Ouest, c’est la période de la françafrique, avec les réseaux Focard pendant les années 60 70 où une novlangue paternaliste envers la France est commune à la plupart des discours des chefs d’Etat de cette région. Il n’est pas sans compter sur un charismatique président révolutionnaire, Thomas Sankara.

" Sankara ", voilà un nom qui résonne sans trouver d’écho en France encore aujourd’hui. Il est largement méconnu hors du continent noir mais en Afrique il est considéré comme une figure de proue plus contemporaine du panafricanisme et du tiers-mondisme. Il fut influencé par Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Sékou Touré, George Padmore, Amílcar Lopes Cabral.

Il fut président du Burkina Faso (ex Haute Volta) de 1983 à 1987. Il prit le pouvoir par un coup d’Etat, le 4 août 1983, en tant que chef de file des jeunes officiers. Il entama une politique révolutionnaire. Son pays prit alors le chemin d’une nette rupture avec son passé politique.
" La révolution s’entend pour lui comme l’amélioration concrète des conditions de vie de la population. C’est la rupture dans tous les domaines : transformation de l’administration ; redistribution des richesses ; libération de la femme ; responsabilisation et mobilisation de la jeunesse ; mise à l’écart de la chefferie traditionnelle, jugée responsable du retard des campagnes ; tentative de faire des paysans une classe sociale révolutionnaire ; réforme de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des tâches de production ; décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les comités de défense de la révolution (CDR) chargés de la mettre en oeuvre localement ; lutte sans merci contre la corruption ; etc. ".

Sankara, par son charisme incontestable, son intelligence, son aisance à s’exprimer sur tout les sujets, sa facilité à inspirer la sympathie et à utiliser les médias; est à l’époque un président d’un type nouveau. Sa lutte populaire contre le néocolonialiste marque une rupture vis à vis des autres présidents d’Afrique de l’Ouest, plus dociles face à la France. Sankara demeure dans bien des mémoires africaines. Il est faux de l’appeler le " Che africain ", car il n’a pas son semblable mais son action, sa personnalité, sa politique le rapproche d’Ernesto Guevara. Au lendemain de la commémoration du 20ème anniversaire de son assassinat, un mythe est entrain de se créer. Un symposium international Thomas Sankara sur le thème : " Osez Inventer l’avenir " s’est tenu à Ouagadougou au Burkina Faso, les 11, 13, 14 et 15 octobre. La conceptualisation du Sankarisme est en marche. Celle ci passe inexorablement par ces discours. Ces discours sont la clef de voute de la construction du mythe. Son héritage émerge par ses discours parce que « l’action politique et le discours politique sont indissolublement liés, ce qui justifie du même coup l’étude du politique par son discours «.

L’éventail du corpus permet de bien distinguer les différentes notions étudiées à des périodes différentes. Les contextes dans lesquels sont énoncés ses discours sont très différends. Dans l’ordre chronologique, le premier texte s’intitule, Qui sont les ennemis du peuple ?, prononcé le 26 mars 1983 lors d’un meeting à Ouagadougou et publié dans le journal Carrefour africain le 1er avril 1983. Sankara est alors Premier ministre du Conseil du salut du peuple (CSP). Le président de la Haute Volta est Jean Baptiste Ouédraogo. Le deuxième texte est une retranscription d’un enregistrement radiophonique à la suite du coup d’Etat qui fait de Sankara, le nouveau président de la Haute Volta, le 4 août 1983 à 10 heures à Ouagadougou. Le texte suivant, Notre maison blanche se trouve dans le Harlem noir, est plus connus que les autres. Le 3 octobre 1984, après avoir renommée la Haute Volta en Burkina Faso (pays des hommes intègres), Sankara, lors une tournée internationale, prononce ce discours devant 5OO personnes à l’école Harriet Tubman se situant dans le quartier newyorkais d’Harlem. Le discours du 11 septembre 1985 est prononcé lors d’un meeting réunissant les pays d’Afrique de l’Ouest, à Yamoussoukro, la capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire. Il a été publié le 13 septembre dans le journal burkinabé Sidwaya. Il s’intitule La Révolution burkinabé est au service des autres peuples. Le dernier, Un front uni contre la dette, est le plus important. Lors d’une conférence de l’OUA (organisation de l’Union Africaine) à Addis Abéma en Ethiopie, le 29 juillet 1987 (trois mois avant sa mort), Sankara prend la parole de façon peu " conventionnelle " devant les chefs d’Etat africain sur le sujet de la dette.

Dans le cadre du TD d’analyse des discours, notre étude se distinguera en trois parties.
Tout d’abord l’ethos qui est chez Sankara l’un des atouts indiscutable. Nous verrons que suivant le contexte du discours dans lequel il se trouve, il sait redorer un masque différend. Mais le masque n’est pas nécessairement ce qui cache la réalité. « Tantôt il occulte, tantôt il simule «. Les figures de style seront étudiées parce que dans une rupture de la novlangue une certaine rhétorique est indispensable. Thomas Sankara en homme intelligent a bien conscience que l’art de bien parler est une des conditions pour installer une certaine praxéologie, un agir sur l’autre. C’est là où résulte tout l’art discursif de Thomas Sankara. Ce grand orateur articule ses discours de façon à gérer les passions collectives, à les contrôler pour pouvoir s’appuyer sur elle. L’enjeu de cette analyse est de montrer quels moyens sont mis en place pour créer cette rupture avec la novlangue franco-africaine. Sur quels moyens, règles, stratégies Thomas Sankara s’appuyent-il pour faire passer son message, ses idéologie, ses convictions ?




L’ethos préalable de Thomas Sankara est celle d’un jeune militaire. Elle réside dans ce que connotent ces deux termes.
Tout d’abord le militaire: Il est rude strict, brut. Il est instruit mais dans un domaine stratégique. C’est une instruction dont l’élite politique s’esclaffe souvent à tort et qu’il dénigre. Dans la quête du pouvoir, cette même stratégie reste un atout indimentionable évoluant dans une atmosphère machiavélique. Comme tout militaire qui se respecte, il est patriotique. Il sert sa nation. Il est dévolu à elle. C’est souvent un patriotisme qui se trouve proche du nationalisme, la frontière entre les deux restent souvent floue pour eux même et pour les personnes extérieures au corps militaire. Le militaire a aussi un goût des armes douteux. Il fait preuve d’un militarisme effronté dans la vie sociale et dans la vie politique. Les personnes armées gouvernent, décident, dictent... se dirigeant vers un extrême, caporalisme, déjà en place à l’époque dans d’autre pays africain.

Le fait que Thomas Sankara est pris le pouvoir par les armes inquiète un grand nombre de personnes. Un coup d’Etat n’est pas démocratique.
Le militaire a une vision de la société à laquelle il n’acquiert peu d’importance. Il évolue à l’extérieur ne prenant place dans celle-ci mais se considère plus comme un électron libre au dessus d’elle. Il la protège. Thomas Sankara est surtout un jeune officier. Il fut un très jeune premier ministre où généralement ce poste est confié à des personnes d’expérience.
Sa jeunesse fait partie de son ethos prédiscurssif. Il est considéré comme fougueux. Il a les dents longues et aiguisées. Il est plein d’enthousiasme, de projets nouveaux. Derrière sa retenue militaire il est gracieux, généreux et plein d’humour.

C’est un séisme dans la photothèque politique des années 80. C’est un atout pour le peuple mais ses réfractaires n’hésitent pas de le qualifier de peu sérieux, d’inexpérimenté, d’utopiste et d’incompétent. Sa jeunesse et le militaire qu’il est viennent en quelque sorte s’annuler. Les atouts de l’un viennent renforcer les défaillances de l’autre et vis et versa.

Une autre donnée très forte joue un rôle extrêmement important dans son ethos préalable c’est le terme " révolution ". Aux yeux de tout le monde c’est un révolutionnaire. C’est son ethos préalable le plus fort. La guerre froide est sur le déclin mais reste présente et la révolution va de paire avec le communiste. Il est estimé comme un tyrannique communiste en puissance doué d’un fieffé culte de la personnalité. Cet ethos préalable il va en jouer. Suivant le public auquel il s’adresse, il va revêtir certains masques. Lors de la déclaration du 4 août 1983, son discours est très bref, concis et clair. Il vient de prendre le pouvoir, libéré de prison par ses frères d’armes, il se déclare comme " patriotique ", " progressiste ", aspirant à " la démocratie " et à " la liberté ".

Il réaffirme son appartenance militaire unie, " les soldats sous officier et officier de toute arme ".Il se présente comme le garant de l’ " honneur ", la " dignité ", l’ " indépendance véritable " et le " progrès ". Il se veut respectueux des accords en place. Il réaffirme ses actes comme bénéficiaire au peuple burkinabé dans la " solidarité ", " paix " et " bonne amitié ".
Il crée toute l’ambiguïté de son personnage. Il se veut rassurant sur l’idéologie qu’il veut développer basée sur le progrès, la démocratie, la liberté et le bien du peuple. Il ne réutilise pas la vulgate communiste.
Mais d’un autre coté, il réaffirme fortement son masque de soldat révolutionnaire. Il utilise sans compter le mot " peuple " et le mot " révolution ". Il finit son discours par le dicton " La patrie ou la mort nous vaincrons " que l’on retrouvera dans tous ses discours. Ces maximes suivent toute la carrière d’un militaire et Thomas Sankara ne déroge pas à la règle même en accédant à la plus haute marche du pouvoir qui se veut plus civile.
En toute circonstance, il possède une arme sur lui et il est toujours habillé de son béret rouge. " Je suis militaire, je porte une arme. Mais Monsieur le président je voudrais que nous nous désarmions. Parce que moi je porte l’unique arme que je possède. D’autre ont camouflé les armes qu’ils ont.". Il réaffirme fortement ce qu’il est. Il ne cherche pas à infirmer certain aspect de son ethos préalable. Il fait preuve d’un ethos de caractère fort.
Lorsqu’il s’adresse à ses pairs lors du sommet des pays membres de l ‘OUA d’Abis Adéba, il sait très bien que la moitié des dirigeants africains sont contre lui, le dénigrent fortement. Ils ne prennent pas au sérieux son idéologie et le considèrent comme éléments détracteur de la politique africaine traditionnelle. Dans ce discours, il affirmé toute sa jeunesse. Il est très poli, respectueux : " Monsieur le président, monsieur les chefs des délégations ". Au début, il semble même plutôt timide et gêné dans l’attitude. Cependant dans le discours, il fait preuve d’une aisance assez déconcertante. Il va droit au but avec une franchise qui n’est pas à l’ordre du jour d’habitude. La transgression de sujets tabous comme les absences trop souvent répétées de certains chefs d’Etat, ou le fait de dire que personne ne peut et ne veut payer la dette pourraient rendre mal à l’aise les " vieux " chefs d’Etat. Tout ce discours, il le construit justement sur l’humour qui est plutôt assez cynique, ironique.

Voici quelques exemples : " J’ai cru devoir vous imposer quelques minutes supplémentaires pour que nous parlions... ", " Comme nous par exemple ", " Des décisions qui ne veulent pas du tout être en rapport avec votre âge et vos cheveux blancs.", " Comme s’il y avait des hommes dont le baillement suffirait à créer le développement chez les autres. " " La dette ne peut être remboursée parce que d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs ne mourront pas de faim. ", " Ils ont joué, ils ont perdu, la vie continue ", " groupes des cents, que sais je encore? ", " Il faudrait qu’il y ait deux éditions de la Bible et deux éditions du Coran ", " Je ne serais pas là à la prochaine conférence ", " Je ne fais pas un défilé de mode ". En établissant le constat de sujet sérieux, il expose avec l’humour et une certaine insolence propre à son ethos préalable ses propres convictions. En jeune insolent qu’il est, il arrive à faire rire toute une assemblée de vieux dirigeants cyniques. La fin de son discours se termine par une standing ovation. C’est très rare dans ce genre de conférence. C’est anecdotique. Ce discours malgré tout le sérieux avait des allures de one man show. Il a réussi a amadouer le public par sa rupture avec la novlangue traditionnelle par l’humour et sa franchise.


Si lors de ce discours il était très sur de lui, ce n’est pas le cas dans son texte prononcé lors du Conseil de l’entente à Yamoussoukro. En période de crise, il lui faut jouer d’une certaine diplomatie qui vient infirmer son stéréotype de militaire s’en allant en guerre. Cette diplomatie passe par les mots. Il doit réaffirmer que sa révolution n’est pas dangereux pour ses pays voisins. Cette affirmation, il doit là montrer, la décortiquer plus qu’à l’accoutumer. « Ce soir nous avions juste à réaffirmer que nous sommes convaincus en permanence, nous avions à réaffirmer la mobilisation du peuple burkinabé, sa détermination. ". Il l’affirme lui même : " Il y a simplement à dire et à répéter ", " Bien entendu, il faut le répéter et insister... " ," Nous avions à dire et à redire ". Le discours de Yamoussoukro est un discours de justification. Il doit affirmer sa crédibilité aux yeux des chefs d’état voisins. Il tente d’affirmer son ethos de crédibilité. " L’ethos de crédibilité se construit entre identité sociale et identité discursive, entre ce que veut paraître le sujet et ce qu’il est dans son être psychologique et social. " Il mise tout ici sur son identité discursive. Il tente par son discours de non intentionnalité de rehausser son niveau de crédibilité. " ... C’est pourquoi nous ne devons cesser de voir chez les peuples qui nous entourent leurs qualités et leur aspirations légitimes à la paix une paix juste à la dignité et à une indépendance réelle. " Il justifie qu’il n’a aucune intention d’attaquer les pays voisins qui n’aspirent pas à la paix mais il faut que le " peuple " prennent ses " responsabilités " à faire la révolution. Il justifie la Révolution qui est fortement connoté négativement. Il garde un ethos de caractère fort pour faire passer son message.


Il affirme souvent son ethos d’autorité en dénonçant avant d’être dénoncer. Il prend une longueur d’avance en devinant les critiques, faisant preuve de symptômes de paranoïa avancée. Il aime aussi faire taire les rumeurs en les énonçant et les infirmant avec des exemples ou des généralités morales. " Nous savons que dans les officines impérialiste on essaiera de décortiquer les propos tenus ici. ", " On dit également du CSP que certains de ses éléments, comme le capitaine Sankara, sont allés en Lybie et en Corée du Nord et que cela est dangereux pour la Haute Volta. ", " Nos ennemis disent que le CSP a proclamé la liberté d’expression et de presse mais que le CSP commence à mettre un frein à cette liberté. ..." Il doit revêtir un autre masque en fonction de son public et du contexte dans lequel il prononce son discours.


Son ethos préalable est tantôt infirmer, tantot affirmer. Je le répète le masque n’est pas nécessairement ce qui cache la réalité. " Tantôt il occulte, tantôt il simule ". (Exemple le Masque de Zorro et le Masque de la Vertu).
Il est le résultat d’une stratégie. L’ethos est une stratégie du discours politique. L’habilité de Thomas Sankara est de s’effacer derrière une notion très forte le peuple. Il sait que le changement ne peut se faire derrière une personne jeune méconnue, dépourvu d’un ethos d’autorité préalable fort.

Malgré lui, il fait du populisme. C’est une vision personnelle et le but du dossier n’est pas de donner un avis politique mais il faut bien avoir conscience que ce populisme est certainement du à ses références communistes qu’il revendique peu. Il est surtout du au fait qu’il est conscient que la parole d’un seul homme n’a plus d’échos dans ce pays, dans ces discours de dictateur. La praxis passe par une conscience collective. Le " peuple " auquel il fait référence allègrement dans ces discours, est finalement un " idéal type " pour Thomas Sankara dont il se sert abusivement.
Son message passe par la volonté du peuple. Il se doit d’appâter, de flatter ses interlocuteurs. Différends procédés sont utilisés. Tout d’abord l’utilisation de vocabulaire péjoratif pour les " ennemis du peuple ". Par exemple dans le premier texte Qui sont les ennemis du peuple ?, Thomas Sankara utilise un vocabulaire très dévalorisant quand il parle des " ennemis du peuple ".
Tout ce qui tourne autours des " ennemis du peuple " est péjoratif.
" tremble, peur, détracteurs, tort, trompé, intoxication, intimidation, ennemis, démasquer, illicite, profitant, magouille, faux, fraude, corruption, eux seul, force de l’obscurité, apatrides, néo colonialiste, impérialiste, renié la patrie, confusion, mauvais élève, échec, égorger, écraser, sionisme, division, inquiétude, psychose, assassiné, soumettre, nuire, contre, pourris, exploitation éhontée, hommes malhonnêtes, mentir, intoxiquer collectivement, domestication de la diplomatie, honte, fusilier, dictature, trahir, désarroi, perdu, spéculation, enrichissement illicite, détournement, faux types, faux typisme, hiboux au regard gluant, caméléons équilibristes, renards terrorisés, lépreux, incapable de servir, ceux qui se cachent derrière les diplômes, ceux qui sont contre, valets " Par ce discours, Thomas Sankara essaie de créer une représentation et une division des classes sociales. Il crée un système de représentation normative où le prolétariat n’a qu’une place fictive, virtuelle. Le Burkina Faso compte à l’époque qu’une toute petite classe ouvrière. La classe ouvrière n’a qu’une place virtuelle dans l’espace social burkinabè. La paysannerie burkinabè constitue l’essentiel des " masses " ou " peuple ", et subit l’exploitation conjointe de la chefferie et des fractions dominantes de la bourgeoisie.
Il est donc très important pour ce militaire de carrière, de discriminer tout les autres prétendants que se soit la haute bourgeoisie (commerçante et politico- bureaucratique) ou la chefferie. Il y fait référence très clairement dans le texte : " cette fraction de la bourgeoiserie ", " les hommes politiques qui sont convaincus qu’eux seul ", " ces forces de l’obscurité, ces forces, qui sous des couverts spirituels, des couverts coutumiers ".
La plupart des paysans font partis de la bourgeoisie en étant propriétaire de leurs propres parcelles (dissolution des formes communautaires de propriété et d’exploitation du sol). Cette classe est une partie intégrante de la petite-bourgeoisie. D’où l’importance de bien qualifier les " ennemis du peuple " non pas seulement dans une lutte entre bourgeoisie et prolétaire. Le discours marxiste ne peut être réutilisé. La
morale joue un rôle primordial dans l’unification des personnes autours du mot " peuple ". Nous y reviendrons. Mais d’un autre coté, c’est bien par sa rhétorique que Thomas Sankara réussie une unification. Son discours est vivant. Il est vivant dans le sens où il crée un certain dialogue. Le contexte du discours prend toute son importance.


Il aime utiliser les anaphores notamment la question " Qui sont les ennemis du peuple ? ". C’est aussi une question rhétorique puisqu’il répond lui même. Elle n’est là que pour construire son argumentation dans un souci de ré-interpeller son locuteur. C’est une phrase connective. Elle permet la connexion entre lui et son public. Autre anaphore utilisée : " Le combat du peuple burkinabé n’est point un combat chauvin. Notre combat ne sera point un combat nationaliste étriqué et limité. Notre combat est celui des peuples qui nous aspire à la paix et à la liberté ". Outre l’insistance sur un vocabulaire révolutionnaire, le mot combat est fortement atténué par les mots qui lui sont associés.

Le " peuple " est choyé.

" un peuple majeur, lorsque le peuple se met debout " , " l’impérialisme tremble ", " je vous salue ", " vous ête
s présent ", " vous êtes debout ". Il fait parti intégrante du peuple en utilisant le " nous " à la place du " je ". Mais l’essentielle du " chouchoutement " ne passe dans le vocabulaire. C’est par la rhétorique que Thomas Sankara arrive à créer une énergie autours d’un idéal type, qui est le " peuple " qu’il appelle aussi la " masse populaire " ou " la masse voltaïque ". L’utilisation du pronom personnel " nous " est la preuve de l’importance qu’il conçoit à vouloir unifier les personnes autours d’un " élan patriotique ", juste, démocratique et libertaire.
Quand il énonce ses questions rhétoriques le peuple peut facilement répondre et spontanément. Son élocution lente et habille permet une réponse spontanée à ses appel à participer au discours. Il maitrise cet " éprouver " avec les autres par ces stratagèmes.
La rupture nette avec la novlangue africaine se fait dans son vocabulaire et tout simplement le choix des thèmes. Quel chef d’Etat africain aurait osé parler d’impérialisme, du néo colonialisme, de la corruption, de sionisme ? Tout ceux là ont tu ces sujets ou du moins l’ont évoqué en filigrane.

Cette rupture se fait dans l’argumentation. Il n’hésite pas à utiliser des exemples simples pour contrer les éventuelles critiques ou les remarques déjà faites sur sa politique.
Dans le discours " Qui sont les ennemis du peuple ? ", quand il parle d’impérialisme, il utilise, une comparaison simpliste. " Voyez-vous, l’impérialisme à tort. Mais l’impérialisme est un mauvais élève. Quand il est battu, quand il est renvoyé de la classe, il revient encore. C’est un mauvais élève. Il n’a jamais appris la leçon de son échec, il n’a jamais tiré la leçon de son échec. " Il compare l’impérialiste qui est une notion très vague à un mauvais élève. Il énumère par la suite des situations différentes dans d’autres pays qui n’ont pas de réels rapports avec la situation au Burkina Faso. Il ne peut mettre en similitude Israël et le Burkina Faso. Aucune analogie n’est visible entre l’Afrique du Sud et le Burkina Faso. Il n’est pas sujet ici de savoir si ce qu’il dit est juste ou non mais de montrer que par ces exemples, par ces comparaisons, il fait appel à des notions acceptées par tout le monde. Ces comparaisons sont facile à entendre, à comprendre et à l’inverse ne peuvent être rétorquées.
C’est en ce sens qu’il maîtrise l’art de gérer les passions collectives. Le public lors de ses discours peut facilement comprendre ce qu’il dit en utilisant des notions, des valeurs fortes communes à tous. Il est difficile de façon publique de se dire contre la démocratie, pour le raciste, contre le peuple, pour l’impérialisme, pour le fantochisme.
De la même façon même si l’on a été un mauvais élève dans sa jeunesse, la morale l’emporte et aujourd’hui, nous affirmons volontiers que ce n’est pas bien. Les discours de Thomas Sankara sont très moralisé et moraliste.
Il y a une dualité entre le bien et le mal dans tout ses discours. Thomas Sankara tente d’éclairer le peuple, c’est en cela qu’il moralise. Victor Hugo avait dit un proverbe très connu, " Eclairer le peuple, c’est le moraliser " . Par la morale, il universalise son point de vue. Les noms, verbes ou adjectifs allant dans ce sens sont abondamment utilisés.
Le mal : " impérialisme, valet, fomenter, injuste, chauvin, nationalisme étriqué et limité, " Le bien : " peuple, sérénité, calme, tranquillité, amitié, paix, liberté, aspirations légitimes à la paix, une paix juste à la dignité. " Derrière des mots comme " impérialisme ", " liberté ", " démocratie ", " raciste ", " peuple ", " fantochisme ", " honneur ", " dignité ", il est possible de ranger tout et n’importe quoi. Derrière le mot terroriste, rebelle utilisé à tout va de nos jours, il est facile de pouvoir ranger des opposants politiques, des personnes gênantes ......Il y a un abus de langage. Un stéréotype du langage commun à tous. Il utilise l’opinion publique.
L’ironie, la moralisation, la dualité, l’utilisation de termes flous rassembleurs, la prise en compte du public, la participation du public, l’humour, son ethos... sont les clefs du grand orateur qu’est Thomas Sankara. Il manie cet " éprouver avec les autres " avec habilité en cela il réussi à gérer les passions collectives.



Il est à la fois dans la continuité et la rupture. Il est dans la continuité de son ethos préalable dans bien des cas et à la fois dans une rupture du coté rhétorique des discours traditionnelle. Il paiera de sa vie ses prises de position et son discours quelque mois après le texte prononcé à Addis Abéma sur la dette. " Je ne serai pas là à la prochaine conférence " a été plus que " décortiqué " par les " officines " mais appliqué. Il est assassiné par son meilleur ami et compagnons de la Révolution, Blaise Compaoré, actuel président du Burkina Faso (même si aucun procès ne l'a reconnu et que le sujet reste tabou). Les " ennemis du peuple ", les " valets locaux " de l’impérialiste étaient bien plus proche qu’il croyait. Le discours politique à des conséquences, crée une praxéologie s’il est bien maitrisé. Le peuple ont cru en sont discours y ont adhéré à un tel point que vingt ans après il connait un nouvel essor. Le sankarisme nait aujourd’hui de ses discours.


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1 commentaire:

RoMSiTeN a dit…

Et ben voila ..tout est dit, ou presque, en tout cas bien ecris ...
texte a faire tourner ...